Arnaud John César
Retrouvez l’histoire inédite en 3 volets de Nathalie Man publiée chaque mois dans la newsletter de Chahuts
(vous souhaitez recevoir la suite, envoyez-nous un mail sur : communication@chahuts.net pour que nous vous ajoutions dans notre fichier)
ÉPISODE 1
Le chat était mort.
On l’avait retrouvé allongé sur la route, manifestement percuté sur le flanc droit.
Il était noir. Personne ne l’avait distingué du bitume avant le lever du jour.
A la découverte du cadavre, les voisins avaient pleuré sur son sort et commencé le deuil d’un grand ami.
Ce chat n’avait pas de nom à lui mais une multitude de prénoms que ses admirateurs lui donnaient au gré de leurs humeurs et du climat.
Quand le soleil brillait, qu’il faisait chaud, on l’appelait facilement César, on imaginait l’Italie puis, dès qu’il faisait gris, c’était plutôt Arnaud, un prénom germanique. Enfin, quand il pleuvait, on l’appelait John.
Je ne lui avais trouvé aucun prénom. Ni César, ni Arnaud, ni John ne me convenaient. Je le tutoyais sans jamais avoir à l’appeler. Parfois quelques onomatopées sortaient de ma bouche, elles ne signifiaient rien mais le rendaient, il me semble, heureux.
Que fallait-il faire désormais ? Chercher l’assassin et lui faire payer ? Lui demander qu’il s’excuse ? Ou fallait-il déplorer son absence et organiser des obsèques fastes à la hauteur de son âme ?
L’un et l’autre pouvaient-ils être menés à bien ?
Une voisine a pris la parole mais je ne l’entends pas.
« Il faut s’occuper d’abord de sa mort » disent-ils à l’unisson.
Le voisinage a mis des banderoles aux fenêtres. Elles sont colorées pour signifier la joie d’avoir connu ce chat, et quelques bandes noires évoquent la tristesse de l’avoir perdu.
Il semble impossible de faire comme s’il n’était qu’un chat.
Beaucoup se souviennent de ses miaulements affectueux et de son caractère libre.
Certes, il éternuait souvent. Certains s’en étaient d’ailleurs plaints. Ils disaient « pourvu qu’il ne me contamine pas avec ses germes ». D’autres avaient pensé « il va peut-être mourir. Dieu merci ce n’est pas mon tour ».
Ceux-là repartaient souvent soulagés et heureux d’être différents du chat et tous ensemble, ils avaient l’impression d’appartenir à une autre classe, celle d’hommes et de femmes d’une société qui se préoccupe davantage de « problèmes importants » (ils aimaient le souligner) que de souris et de litière. Ils font plus que vivre, « voyez-vous » (ils soulignaient encore) ils travaillent, ils produisent, ils pensent, ils combattent, ils lisent, ils écrivent.
Ce chat ne savait pas lire.
Mais je l’ai vu écrire « penser » sur les graviers entre sa maison et la route, à l’aurore. Un autre chat avait effacé l’inscription.
La maison du chat noir était un lieu de décombres parmi une allée de maisons abandonnées. Rien, dans ce quartier, ne montrait l’aisance. Tout semblait tourner autour de l’effort et de l’économie.
Le chat, quand il s’ennuyait, miaulait.
Il ne miaulait pas un son de détresse mais une mélodie qu’il avait composé pour passer le temps. Qui sait, peut-être que quelqu’un aurait chanté à l’unisson.
Je n’étais pas seule à l’avoir entendu.
Une voisine m’avait confié avoir chanté, elle aussi, cet hymne sous sa douche.
« L’originalité est contagieuse, mais ne le dites à personne », m’a-t-elle dit.