ÉPISODE 2
Je sais garder des secrets, mais ce chat mérite d’être reconnu pour ses talents.
J’ai donc composé une œuvre immense à la craie, sur la route, là où il est mort.
J’ai écrit au milieu « PENSER », puis j’ai mis des notes de musique : des la, des do, des sol avec des croches, des blanches, des rondes, quelque chose de simple.
Il n’aimait pas les doubles croches et surtout pas les triples croches.
Certains voisins se sont arrêtés. Ils m’ont demandé pourquoi il n’y avait pas de paroles ?
« C’est plus simple de retenir une mélodie avec des paroles » ont-ils déclaré.
Je suis rentrée à la maison et j’ai écrit un poème pour le mettre en chanson.
Le soleil m’est tout de suite venu à l’esprit : c’est jaune, c’est chaud et c’est rare.
Là où va le soleil
C’était comme si une armée
De Bardella et de Benalla me courait après
Et qu’ils se reproduisaient tel l’agent Smith
Comme si l’injustice avait déjà plusieurs visages
Prêts à fracturer les vitres de mes voisins
Et que, mordus par ces zombies,
Ils descendaient la rue avec le cœur sous les semelles
Criant à l’agonie.
C’était comme si le bus me percutait
Alors que le chauffeur m’avait vue depuis longtemps déjà.
C’était comme si le soleil ne chauffait pas
Et que, contre toute attente, il me suivait loin de là.
Je l’ai signé Elton John. Le chat aurait aimé que je pense à son morceau le plus célèbre « I’m still standing » et au couplet que tout le monde connaît.
Don′t you know that I’m still standing better than I ever did?
Tu sais que je suis encore debout, bien plus que je ne l’ai jamais été.
Looking like a true survivor, feeling like a little kid
Je ressemble à un vrai survivant, je me sens comme un enfant
But I′m still standing after all this time
Mais je suis encore debout après tout ce temps
Picking up the pieces of my life without you on my mind
Ramassant toutes les pièces de ma vie sans que tu sois dans ma tête
En quittant la route, avec les mains désormais blanches, j’ai traîné ce couplet pendant plus d’une journée. J’ai arrêté de travailler. Puis, j’ai arrêté de dormir.
La disparition du chat m’avait affectée.
Je n’étais pas tout à fait la même.
Au petit matin, j’avais encore la craie dans les mains. J’ai écrit sur les volets fermés : « R.I.P Arnaud John César 2011-2025. Même les meilleurs meurent et c’est ça qui rend ouf ».
Pourquoi aimais-je profondément ce chat ?
Il était noir, mais il perdait ses poils ici et là, ce qui le rendait zébré. Il avait un strabisme à l’œil gauche. Il donnait l’impression de nous observer sans cesse. J’aimais l’intensité de ce chat qui n’a jamais cessé de retourner la terre là où il était né pour y déposer des pâquerettes, des papillons et des abeilles. Il avait une manière à lui de rendre hommage, de montrer son respect et de miauler.
Il n’avait pas les miaulements séduisants des autres chats, il émettait un bruit grinçant qui parfois faisait penser à un fou-rire mal contenu.
Il lui était impossible de passer inaperçu. Et pourtant, il n’était pas tout à fait sûr d’être celui qui, du quartier, avait le plus d’expérience. Il ne s’imposait jamais et jeûnait quand il ne parvenait pas à discuter avec les autres chats. Il mangeait une pâtée sur deux. Ce chat avait des scrupules.
Arnaud John César souffrait d’un complexe d’infériorité.
Séparé de sa mère dès les premières semaines, à peine sevré, placé en famille d’accueil, il avait fui une maison en feu alors qu’il fêtait ses trois mois. Le propriétaire était mort étouffé. Arnaud John César n’avait pas su s’il devait le pleurer ou s’en réjouir puisqu’il le maltraitait. Mais il lui avait pardonné. C’est à ce moment-là qu’Arnaud John César s’était mis à penser, puis à écrire.
Comment fallait-il être pour se sentir heureux et aimé ?
De quoi fallait-il se contenter ?